Une fois n'est pas coutume, je vais me fendre d'un petit billet d'humeur. j'ai le droit, après tout : c'est mon blog et je ne force personne à lire tel ou tel article. Voici donc l'une de mes bonnes résolutions de la rentrée.
Depuis quelques années, bon nombre de projets ludiques (et/ou rôludiques) ont fait appel au système du foulancement (ou crowdfunding). Le principe de ce système est simple et était déjà utilisé dans le cadre des souscriptions : faire un appel de fonds permettant de financer un projet en amont. A la base, cela est très louable, puisque le foulancement permettait à des projets de voir le jour alors qu'avec un modèle plus traditionnel, ils se seraient sûrement cassé le nez contre le mur de la réalité.
Porté par quelques grosses plateformes spécialisées (on songe évidemment à Kickstarter ou à Ulule, plus près de chez nous) ou plus confidentielles (Gameontabletop ou Kisskissbankbank), un foulancement représente un engagement mutuel. En gros, le porteur de projet s'engage, si les contributions sont assez élevées, à livrer le produit, dans les délais. De plus, sil le financement fixe une somme à atteindre, certains paliers au-dessus de cette somme permettent, s'ils sont atteints, de débloquer des gratifications supplémentaires (les stretch goals). Il s'agit généralement de goodies allant du marque-page au chapitre supplémentaire d'un livre, souvent réservés aux seuls contributeurs (aussi appelés backers).
|
Illustration Giphy |
On ne va pas se mentir, le financement participatif utilise aussi des techniques de manipulation mentale : en promettant à ses backers de leur livrer le produit avant les autres, souvent dans une version collector et avec des goodies exclusifs (qui prendront souvent la poussière), il les caresse dans le sens du poil et peut créer l'envie, à défaut du besoin. L'utilisation des early birds, qui consiste à offrir à un prix (un tout petit peu) réduit une des récompenses pour un nombre limité de backers est également fréquente. Notons au passage que le crowdfunding, en plus de ses modes de fonctionnement bien particuliers, use et abuse d'un jargonnage en globish (qui participe sans doute aussi à forger une communauté).
Plus d'une fois, le foulancement permit ainsi à des petits créateurs de mener à bien des projets qui n'auraient sans doute pas vu le jour sans ce système. Il a permis aussi la création de produits ambitieux, menés par des éditeurs qui n'auraient sans doute pas investi autant sans cette avancée de trésorerie.
Mais, rapidement, des dérives sont apparues et nombreux furent les porteurs de projets qui donnèrent un vilain coup de canif dans le contrat : le produit final était bien différent de celui initialement promis, les délais explosaient régulièrement (les exemples abondent) et, dans certains cas, n'aboutissaient jamais : certains se sont barrés avec la caisse et courent toujours, après avoir fait baver pas mal de monde avec l'idée du siècle.
A titre personnel, j'ai suivi, ces dernières années 33 foulancements, sur diverses plates-formes et pour divers projets, allant du livre au gros jeu de plateau. Indépendamment du type de projet et de la plate-forme de support, seuls 24 % des projets furent livrés dans les temps annoncés ! Si l'on se penche sur les retards, ceux-ci vont de 1 à 36 mois (record qui sera probablement battu par le seul projet que j'attends encore). Et, souvent, les excuses invoquées pour ces retards ne sont pas recevables (le coup du "Désolés, on ne l'avait pas prévu, c'est le Nouvel An Chinois" me reste en-travers de la gorge, personnellement).
|
Illustration Giphy |
Au-delà du respect des délais, la satisfaction à réception ne fut pas toujours au rendez-vous. Entre ce que l'on fit miroiter au lancement du projet et ce qui fut livré, il y a parfois un écart.
Alors, oui, le système du financement participatif est parti d'une bonne idée (qui reprenait peu ou prou le principe des souscriptions, cher à certains petits éditeurs littéraires) : permettre à des créateurs de se lancer, sans avoir la trésorerie nécessaire. Mais trop de promesses non tenues (ou mal tenues) et le recours systématique à cette méthode, y compris lorsque ce n'est plus justifié (vous ne me ferez pas crois que certains éditeurs n'ont pas le cash nécessaire) ont dévoyé une chouette idée. Et ne parlons pas de ceux qui lancent un financement très en amont, sur la base d'une simple idée, sans avoir posé le moindre début de planning. On en aurait mis dehors pour moins que ça dans n'importe quelle industrie.
Après avoir participé à une vingtaine de projets, je renonce donc à ce mode de financement, les mauvaises expériences n'étant pas compensées par les bonnes (hélas moins nombreuses). Oui, je me prive ainsi de certaines exclusivités (mais je suis prêt à parier que le marché de l'occasion me les fournira si besoin) et oui, je punis tout le monde (mais le modèle me survivra, je ne suis pas inquiet).
Je ne suis pas sûr que ce billet (qui ne reflète que ma position personnelle) soit lu, voire apprécié. Mais, comme je le disais en exergue, c'est un billet d'humeur ou, pour le dire autrement et paraphraser un grand philosophe : je te dis pas que c'est pas injuste. Je te dis que ça soulage.
|
Illustration Giphy |