jeudi 7 juillet 2022

Enchères sous pavillon noir (1)

Je mène depuis plusieurs années plusieurs tablées, dont deux consacrées à Maléfices (en utilisant toujours ma boîte de la première édition), qui vivent en parallèle des aventures avec une pointe de fantastique dans la France de la Belle Epoque. Chacune des tables est composée de deux joueurs (ou plus exactement une joueuse et un joueur). Le mode de jeu est plutôt feuilletonnesque, puisque je n'ai pas vraiment définir d'arc narratif majeur et que nous ne dirigeons pas vers une fin plus ou moins programmée. Bref, on joue à l'ancienne, même s'il arrive que je fasse revenir quelques PNJ d'un épisode sur l'autre ou que je réutilise des faits s'étant produit plus tôt. 
Sur l'une des tablées, j'ai maîtrisé plusieurs fois des scénarios dont je n'étais pas l'auteur. Les deux PJ ont donc déjà eu droit au "Mystère égyptien" ou au "Drame de la rue des Récollets", qui donnèrent de très chouettes séances (le premier me permit même de leur offrir une suite inattendue). Sur cette lancée, j'avais très envie d'utiliser d'autres scénarios du commerce. Tous n'offrent pas la possibilité d'être inclus dans notre série ("Délivrez-nous du mal", par exemple), mais pour d'autres, c'est assez facile, pour peu qu'on corrige quelques dates et qu'on ajuste deux ou trois lieux.  

C'est "Enchères sur pavillon noir" qui fut choisi pour être incorporé dans notre série et il m'a fallu jouer le script-doctor avant, pendant et même après les parties (au nombre de trois) nécessaires pour en venir à bout. Généralement apprécié, ce scénario est le sixième qui fut édité dans la gamme. Il fut écrit par Pascal Gaudo et est sorti en 1987 (ça ne nous rajeunit pas) Si vous comptez le jouer un jour, passez votre chemin, car le retour d'expérience qui suit dévoile une grande partie de l'intrigue. 

Illustration le Grog

Les personnages-joueurs font l'acquisition d'un coffre lors d'une vente aux enchères, dans lequel ils trouvent le journal d'un peintre embarqué sur un navire au XVIIème siècle. Dans ce journal, ils découvrent que le malheureux peintre fut le seul survivant de l'abordage de son vaisseau par des pirates et qu'il a du son salut à ses talents de peintre. En effet, il a dessiné plusieurs saynètes censées donner des indices sur la position d'un trésor. Ce dernier devant logiquement attiser la convoitise des personnages, la chasse aux doublons est lancée. 

Tout cela est extrêmement linéaire et on a bien souvent l'impression que les joueurs sont posés sur des rails. Hors de question pour eux de quitter le chemin tracé, à savoir : la vente aux enchères, les recherches sur les flibustiers, Saint-Brévin, La Rochelle (les deux pouvant être inversés), retour à Paris et départ vers les Antilles. 

En amont de la séance de jeu, j'ai travaillé sur l'implication des personnages dans le scénario. L'un et l'autre ayant une ascendance bretonne (sans s'être concertés), je n'ai eu qu'à choisir entre l'un d'eux pour lui parachuter un oncle s'étant découvert un ancêtre peintre et voulant acquérir les toiles de ce dernier. Ayant découvert la vente aux enchères introductive, le tonton rend à l'occasion visite à sa nièce et l'entraîne avec lui chez Drouot. Simple et efficace, le procédé a fonctionné au-delà de mes espérances, la joueuse adoptant immédiatement l'oncle Anselme. Ajoutons que ce dernier ayant un âge avancé et une santé fragile, il ne pourra pas, par la suite, se lancer dans la chasse au trésor, mais pourvoira sans rechigner à la financer. 
Oui, je sais, c'est facile. Mais ça marche du feu de Zeus et les joueurs sont contents.
Que demander de plus ? 
Tout simplement que la suite roule aussi bien. Je vais être franc : je ne m'attendais pas à devoir autant bricoler et improviser sur ce scénario. Là où "Le drame de la rue des Récollets" s'intégrait tout seul ou presque dans la campagne chronique série, "Enchères sous pavillon noir" révèle en cours de jeu nombre de trous dans la raquette. Cela dit, le premier se déroulant quasiment en huis clos et prête moins le flanc à de tels défauts. 

Malgré une grosse préparation, la première séance, pour intéressante qu'elle fut, a été très frustrante. A l'issue de celle-ci (environ 3 heures de jeu), les personnages ne faisaient que quitter Paris, alors que j'espérais qu'ils seraient déjà passé par La Rochelle et Saint-Brévin l'Océan.
Plus embêtant (ou pas, d'ailleurs) : leur destination choisie était Brest. 

Ceux qui ont déjà lu ou joué ce scénario devraient tomber de leur tabouret : nulle part, en effet, n'est fait mention de Brest dans le texte original. Laissez-moi vous raconter comment cela s'est passé.
L'entrée en scène de l'oncle Anselme fonctionna remarquablement bien (ce fut un régal de jouer ce PNJ), puis vint la vente aux enchères et la rencontre avec Chassagnac. Là aussi, tout se passa fort bien. Pour se remettre de leurs émotions, les PJ accompagnent Anselme dans un café et examinent le contenu du coffre. C'est là qu'ils découvrent le journal de Jean Carrère. 
Ce fut d'abord la curiosité intellectuelle qui les motiva, plus que l'idée de mettre la main sur un hypothétique trésor. Après tout, à cette étape du scénario, il est difficile de dire si ce trésor n'a pas déjà été trouvé et s'il est envisageable de le localiser. Les PJ sont donc d'abord allés au Musée de la Marine, puis choisirent d'aller à la Bibliothèque Nationale, avant d'interroger Chassagnac. Ce n'est qu'après un nouvel échange avec l'oncle Anselme qu'il choisirent d'enquêter un peu plus sur Jean Carrère. D'après l'histoire familiale, ce peintre termina sa vie à Brest et la demeure qu'il habita resta dans la famille jusqu'à la fin du XIXème siècle. Là-bas se trouvent sans doute quelques informations intéressantes...

J'ai décidé de stopper la séance à cet instant, alors que les PJ se rendent à la Gare Montparnasse, pour deux raisons : la partie avait déjà duré pas mal de temps et, surtout, il va me falloir créer cette partie du scénario, afin de permettre le raccord vers les scènes attendues (Saint-Brévin et La Rochelle). L'objectif est donc de donner aux PJ l'envie d'entreprendre enfin cette chasse au trésor, même s'il est envisageable qu'ils se contentent de l'histoire de Jean Carrère.
L'impression (déjà fugace à la lecture) qui se dégage en faisant jouer "Enchères sous pavillon noir" est que sa linéarité implique de nombreuses lacunes. il faut être capable de répondre à des questions que se posent naturellement les personnages sans montrer qu'on improvise : où, comment et combien de temps a vécu Carrère après sa libération par l'Olonnois ? Quelles informations peut-on trouver si on se rend (par exemple) à la Bibliothèque Nationale (située dans le IIème Arrondissement, à l'époque) ? Pourquoi Chassagnac veut-il acheter une vieille malle décrépite ? Et puis, surtout, comment pousser (sans en avoir l'air) les personnages à se rendre sur les lieux où deux des pirates finirent leur vie ? 

Malgré son excellente réputation, "Enchères sous pavillon noir" ne répond pas à ces questions inévitables et contraignent le MJ à l'improvisation (comme ceux qui connaissent ce scénario ont pu le deviner dans le résumé plus haut). Si ce dernier n'est pas rompu à l'exercice, c'est fâcheux. 

Le deuxième volet de ce scénario sera joué sous peu et constituera un nouvel exercice de style. Rendez-vous sous peu pour le debriefing !





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